Stéphanie Lavaud
28 février 2017
Paris, France – Selon une étude-pilote publiée dans le Journal of Alzheimer’s Disease, écouter de la musique ou méditer selon la méthode Kirtan Kriya pourrait réduire le déclin cognitif de sujets à risque d’Alzheimer.
Dans cet essai prometteur, 60 personnes âgées présentant des troubles de la mémoire en phase préclinique, ayant pratiqué quotidiennement pendant 3 mois l’une ou l’autre de ces techniques psychocorporelles simples, ont vu une amélioration importante et significative de leurs performances cognitives (mémoire et cognition) à 3 mois. L’effet était maintenu à 6 mois, voire même amélioré (voir notre article ).

Hervé Platel
Que faut-il penser de ces résultats préliminaires ? Sont-ils cohérents avec ce que l’on sait sur la capacité de la musique à améliorer la plasticité neuronale ? Pourquoi ce type de méditation a-t-il eu des effets si positifs ? Les réponses d’Hervé Platel (professeur de neuropsychologie, Unité Inserm 1077, Université de Caen), spécialiste des liens entre musique et cerveau.
Medscape édition française : On a identifié les bienfaits de la musique sur les maladies neurodégénératives, et en particulier la maladie d’Alzheimer, mais que pensez de ces résultats obtenus très en amont, à un stade préclinique ?
Hervé Platel : Ces résultats sont tout-à-fait cohérents avec ce que l’on sait des effets bénéfiques de la musique, après écoute passive ou encore la participation à des chorales, dans les études publiées chez des patients atteints de la maladie d’Alzheimer (MA). Mais ce qui est intéressant dans cet essai, c’est qu’il s’agit de personnes qui se plaignent de leur mémoire, mais n’ont pas de diagnostic. Elles vont peut-être malheureusement évoluer vers une MA, mais à ce stade, on peut les considérer quasiment comme des sujets sains.
C’est vrai qu’aujourd’hui, on manque de données sur le début de la maladie, d’une part, et chez des personnes à risque, d’autre part. Chez ces sujets, on ne sait pas vraiment si des pratiques comme la méditation et la musique peuvent avoir un effet de neuroplasticité susceptible d’augmenter la réserve cognitive cérébrale, laquelle permet un vieillissement (plus) réussi. Ici, la chercheuse et son équipe font d’une pierre deux coups en recherchant à la fois l’effet de ces techniques sur des sujets âgés et en émettant l’hypothèse d’une éventuelle prévention d’une maladie neurodégénérative.
A Caen, on étudie aussi l’impact de la méditation sur le vieillissement
La France se lance, elle aussi, dans l’étude de l’impact de la méditation sur le bien vieillir.
Intitulé Silver Santé Study, le projet européen lancé en janvier 2016, coordonné par Gaël Chételat à l’Inserm de Caen, vise, pendant les cinq prochaines années, à identifier les facteurs déterminants de la santé mentale et du bien-être des seniors.
Un premier essai clinique sera mené dans quatre pays (France, Royaume-Uni, Belgique, Espagne, Suisse et
Allemagne) pour étudier les effets de la méditation chez des patients qui présentent un risque important de développer la maladie d’Alzheimer [1]. Dans un second essai, limité à Caen et à sa région, les participants se verront proposer différentes interventions, comme par exemple l’apprentissage de l’anglais ou la pratique régulière de la méditation. Les résultats seront évalués via des mesures du sommeil, des mesures comportementales et en comparant des examens réalisés en amont de l’étude et après les 18 mois de suivi.
Les premiers résultats de l’étude seront connus fin 2019. En parallèle, un groupe de méditants experts de plus de 65 ans et ayant plus de 10 000 heures de pratique, sera constitué afin de déterminer les mécanismes d’action par lesquels la méditation pourrait prévenir le vieillissement, à l’instar des études d’imagerie menées chez le moine bouddhiste Matthieu Ricard, qui a d’ailleurs été choisi comme ambassadeur du projet (voir sa vidéo de présentation ici).
Est-ce que l’effet positif de cette méditation particulière, Kirtan Kriya , sur le plan cognitif vient du fait qu’il s’agit d’une méditation " chantée" ?
Hervé Platel : En soi, la pratique de la méditation avec un mantra n’est pas tellement originale (c’est ce que faisaient les Beatles pendant leurs séjours en Inde), mais je n’avais pas connaissance de son utilisation dans ce cadre d’expérimentations cliniques. Il existe cependant un risque que l’on confonde éventuellement plusieurs types de facteurs bénéfiques : la pratique de pensée dirigée, mais aussi l’aspect sensoriel et actif de la technique. Cet aspect multimodal n’est pas neutre sur l’impact de la pratique. Ce qui m’a le plus étonné, c’est l’effet de l’écoute passive de la musique à 6 mois. D’abord, les participants ont été très nombreux (88%) à avoir complété la totalité de l’étude (alors que les 3 derniers mois étaient facultatifs) pour une pratique, qui, au regard de la méditation, pouvait paraitre peu motivante. Par ailleurs, les résultats ont été équivalents dans les 2 groupes (méditation et musique), ce qui confère un impact encore plus grand à l’écoute passive de la musique. C’est très impressionnant, même si écouter passivement de la musique, est aussi un mode de relaxation, proche d’une pratique de méditation, car il s’agit aussi, d’une certaine façon, de pensée dirigée.
Faut-il alors conseiller aux gens d’écouter de la musique pour bien vieillir ?
Hervé Platel : Cela parait simple et évident et l’on se demande même : mais comment, ils n’en écoutaient pas déjà de la musique ? C’est presque étonnant. Mais, en réalité, dans la vie de tous jours – puisque je m’intéresse aux pratiques musicales à tout âge –, on sait bien qu’à partir de 30/40 ans, les personnes commencent à diminuer leur temps d’écoute de musique. L’intérêt pour la nouveauté, en particulier, décroît. En prenant de l’âge, on a tendance à écouter ce que l’on connait bien, ce qui nous faisait plaisir lorsque nous étions plus jeunes. Et il semble assez évident (même en l’absence de statistiques), que chez les personnes de la classe d’âge de l’étude (60 ans), écouter de la musique sans rien faire d’autre ne soit pas si fréquent. Et les enquêtes montrent, que contrairement à ce que l’on pourrait penser, il en va de même chez les jeunes.
C’est la raison pour laquelle la simple écoute de la musique dans cette étude, activité qui peut sembler peu engageante, produit un effet extrêmement important, comparée à l’aspect très complet et peut-être plus attractif de le type de méditation proposée.
Quelles sont les hypothèses physiologiques de l’effet de la musique ? Peut-on parler d’une modulation de l’expression des gènes (épigénétique) ?
Hervé Platel : Oui, il existe véritablement une neuromodulation sous l’effet de la musique que l’on observe aussi dans le monde animal. Les capacités d’apprentissage sont augmentées chez des animaux stimulés par la musique, laquelle constitue un véritable enrichissement dans leur environnement. Dans une étude en cours, nous avons étudié la stimulation musicale chez les rats âgés. Les résultats préliminaires montrent des performances sur des tâches de mémoire bien meilleures chez ceux stimulés par la musique. En revanche, les hypothèses sur ce que le cerveau "capte" dans la musique sont encore un peu floues.
Dans l’étude, les participants écoutaient de la musique classique. Le type de musique a-t-il de l’importance ?
Hervé Platel : Pas vraiment. Je pense que dans l’étude, il était important que la musique soit vécue comme plaisante. Chez les rats, elle ne doit pas être vécue comme un stress. Chez les humains, c’est compliqué car la musique renvoie à des dimensions culturelles et de familiarité, donc à des styles que l’on aime bien et que l’on préfère. Chez l’homme, lorsque l’on essaie de personnaliser la musique proposée à l’écoute, on obtient de meilleurs résultats.
D’après moi, il n’existe pas une bande sonore valable de façon universelle, même s’il y a des morceaux de musique – avec des effets relaxants, apaisants – qui fonctionnent avec le plus grand nombre.
Peut-on dire que la musique est une piste d’avenir d'un point de vue thérapeutique ?
Hervé Platel : Oui, dans le sens où c’est aujourd’hui parmi les interventions non pharmacologiques, celle qui a montré le maximum d’efficacité en neurologie (maladie d'Alzheimer, soins palliatifs, néo-natalogie…). En nombre de publications, c’est indéniable. En revanche, on n’a pas fini de comprendre comment agit la musique sur le cerveau et sur le corps.
Comment la musique agit sur le cerveau en 10 petits films
En 2013, dix chercheurs, dont Hervé Platel, ont ouvert les portes de leur laboratoire à la réalisatrice Anne BramardBlagny, pour partager leurs travaux sur l’influence de la musique sur le cerveau, et en particulier sur celui des patients atteints par la maladie d’Alzheimer. Les dix petits films réalisés à partir de ces expériences, Les Allegros d’Alzheimer, produits par ABB Reportages et l’Inserm sont à voir ici .
REFERENCE :
1. Seniors : une étude pour évaluer les effets de la méditation sur leur bien-être et leur santé mentale, communiqué Inserm du 15/09/16.
Liens
- Méditation et musique réduirait le déclin cognitif chez des sujets à risque d’Alzheimer
- Méditer ou écouter de la musique lors d’une biopsie de sein
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Citer cet article: Stéphanie Lavaud. Musique et cerveau : le point de vue d’Hervé Platel - Medscape - 28 févr 2017.