Méditation et musique réduiraient le déclin cognitif chez des sujets à risque d’Alzheimer

Stéphanie Lavaud

AUTEURS ET DÉCLARATIONS 

28 février 2017

Morgantown (WV), Etats-Unis – Selon une étude-pilote publiée dans le Journal of Alzheimer’s Disease, écouter de la musique ou méditer selon la méthode Kirtan Kriya pourrait réduire le déclin cognitif. On sait déjà que chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer, la musique permet de réactiver les capacités résiduelles de la mémoire mais quid de son effet à un stade très précoce ?

Dans cet essai prometteur, 60 personnes âgées présentant des troubles de la mémoire en phase préclinique, ayant pratiqué quotidiennement pendant 3 mois l’une ou l’autre de ces techniques psychocorporelles simples, ont vu une amélioration importante et significative de leurs performances cognitives (mémoire et cognition) à 3 mois. L’effet était maintenu à 6 mois, voire même amélioré. Nous avons demandé au spécialiste des liens entre musique et cerveau, Hervé Platel (professeur de neuropsychologie, Unité Inserm 1077, Université de Caen), de commenter l’étude (Lire le commentaire).

La déficience cognitive subjective : une fenêtre thérapeutique

La déficience cognitive subjective (soit un sentiment de perte de mémoire, malgré des tests de mémoire normaux) est souvent considérée comme un état précurseur de la maladie d'Alzheimer. « Mais jusqu’à présent, aucun traitement n’a été approuvé pour cette phase très précoce de perte de mémoire, qui malgré des conséquences neurodégénératives faibles à ce stade, pourrait néanmoins constituer une fenêtre thérapeutique cruciale pour agir sur le déclin cognitif » écrivent Kim Innes (département d’épidémiologie, Ecole de santé publique, West Virginia) et ses collègues.

Parallèlement, les preuves s’accumulent quant à l’intérêt des thérapies dites psycho-corporelles, telles que la méditation et l’utilisation de la musique, même la simple écoute passive, comme options de traitement potentielles.

En s’appuyant sur les résultats d’études récentes, le Dr Innes et son équipe ont assigné 60 adultes présentant une déficience cognitive subjective à prendre part, soit à un programme de méditation Kirtan Kriya, soit à un programme d’écoute musicale. Les participants âgés de 50 à 84 ans (61 ans en moyenne) étaient à 85% des femmes.

12 minutes quotidiennement pendant 3 mois

Les sujets du groupe Kirtan Kriya (KK) ont été formés à cette technique de méditation (voir encadré). Alors que ceux du groupe musique (M) se contentaient d’écouter des morceaux relaxants de musique classique issus de 6 compositeurs.

Il leur a été demandé à tous de pratiquer leur méthode de relaxation quotidiennement, à raison de 12 minutes pendant 3 mois (12 semaines). Ils pouvaient, s’ils le souhaitaient, poursuivre pendant 3 mois supplémentaires. Chaque participant se voyait remettre un guide, un CD et un lecteur de CD en lien avec sa pratique. Un coach a contacté chacun des participants au cours de la première semaine pour compléter la formation si nécessaire, et s’est rendu disponible tout au long de l’étude. Les participants devaient tenir un journal de leur pratique.

Les chercheurs ont évalué la mémoire et les fonctions cognitives des participants via trois tests (le Memory Functioning Questionnaire, MFQ, le Trail Making Test, TMT-A/B, et le Digit Symbol Substitution Test, DSST) à l’entrée dans l’étude, à 3 et à 6 mois.

Kirtan Kriya : une méditation chantée Cette technique de méditation associe un mantra, les sons (« saa, taa, naa, maa »), des «mudras» (une gestuelle avec les doigts, consistant à placer le bout du pouce successivement sur les 4 autres doigts) et la visualisation (imaginer une source d’énergie entrant par le sommet du crâne en sortant par le « troisième œil »). Cette pratique – dont les origines remontent aux traditions yogiques de l’Inde – a fait l’objet de plusieurs études, notamment à l’UCLA, montrant une amélioration sur le stress, l’inflammation et la mémoire. Bien que peu connue en France, elle semble, plus que d’autres, particulièrement efficace pour booster les fonctions cognitives, certains chercheurs la considérant même comme un « entrainement cérébral ».

Un effet à 3 mois, maintenu à 6 mois

A 3 mois, chacun des participants des deux groupes présentait une amélioration conséquente et significative de ses performances cognitives et mémorielles (MFQ, DSST, TMT-A/B, P ≤ 0,04) par rapport à l’entrée dans l’étude. Ces gains se sont maintenus, voire améliorés, à 6 mois ( P ≤ 0,006). A la fin de l’étude, 55% des participants ont affirmé avoir moins d’inquiétudes concernant leur mémoire par rapport au début de l’étude.

Dans les deux groupes, les taux d’adhésion aux 2 types d’intervention ont été élevés et les taux d’abandon faibles (92% des participants ont été au bout des 12 semaines et 88% ont pratiqué pendant 6 mois).

Les résultats n’ont été affectés ni par le sexe, l’âge, le statut pondéral, les antécédents de dépression/anxiété, le nombre de facteurs de risque de la maladie d’Alzheimer, les performances cognitives à l’état basal ou les modifications de traitement.

Quand on compare à d’autres études du même type, mais avec des populations différentes, les bénéfices observés ici sont similaires ou supérieurs à ceux rapportés avec de des exercices classiques, du Tai Chi, de l’entrainement cognitif, ou d’autres multi-interventions chez des adultes âgés avec ou sans atteinte cognitive. De façon intéressante, ces résultats, et en particulier ceux du groupe KK – cohérents avec d’autres études utilisant les mêmes techniques – montrent un effet plus marqué sur les fonctions cognitives que ce qui est obtenu avec la méditation de pleine conscience (mindfulness). Les chercheurs n’ont pas d’explication claire si ce n’est une meilleure observance avec la méditation KK, en raison de sa durée courte. Ils avancent aussi son aspect actif et multimodal faisant intervenir de façon coordonnée chant, mouvement et visualisation (voir encadré Kirtan Kriya).

Effet protecteur contre le stress, le vieillissement et l’inflammation

Les mécanismes par lesquels méditation et musique agissent sont eux aussi encore mal compris, mais pourraient faire intervenir différentes voies. L’équipe de Kim Innes a ainsi montré (et publié) que ces deux types d’intervention ont amélioré le sommeil, l’humeur, le stress, le bien-être et la qualité de vie des participants, avec des bénéfices plus marqués chez ceux qui pratiquaient la méditation KK, suggérant une connexion entre un mieux d’ordre psycho-social et des améliorations sur le plan cognitif [2]. Là aussi, les bénéfices étaient significatifs à 3 mois, plus importants dans le groupe méditation KK, et maintenus voire améliorés à 6 mois.

On sait aussi que musique et méditation peuvent promouvoir des modifications cérébrales d’ordre structurel et fonctionnel (voir encadré ci-après) avec des répercussions possibles sur les processus cognitifs, la mémoire, la régulation émotionnelle et la récompense. Un effet protecteur contre le stress, entrainant un maintien de la longueur des télomères a été évoqué, de même qu’une atténuation de l’expression de gènes impliqués dans le stress oxydatif et le vieillissement cellulaire. Enfin, bien que les études soient éparses, méditation et musique semblent agir dans le sens d’une réduction de l’inflammation.

Au final, malgré des limites évidentes comme l’absence d’aveugle et de possibles biais (volontaires jeunes, éduqués et motivés ; effet de l’entrainement ; etc), « cette étude pilote suggère que la plainte de mémoire préclinique peut être une fenêtre idéale pour une intervention thérapeutique chez les adultes à risque de maladie d’Alzheimer », écrivent les auteurs. Sous réserve, comme toujours, que d’autres études confirment le bénéfice potentiel de la méditation KK et de la musique.

Quels mécanismes ? Côté méditation, des études contrôlées récentes chez des sujets âgés, avec ou sans démence, suggèrent qu’elle pourrait induire des changements structuraux et fonctionnels bénéfiques, comme une augmentation du volume de matière grise, de sa densité et de sa densité fonctionnelle, de même qu’une augmentation de l’oxygénation et de la consommation de glucose dans les régions du cerveau impliquées dans les processus cognitifs, la consolidation mémorielle et l’attention. De plus, des études contrôlées préliminaires montrent que la méditation pourrait améliorer un certain nombre de domaines cognitifs comme l’attention, la fonction exécutive, la mémoire, et la vitesse de traitement de l’information.

La musique, quant à elle, aurait des effets positifs sur le cerveau, en augmentant la neurogenèse, en relançant la plasticité synaptique et en entrainant la libération de neurotransmetteurs comme la dopamine. En outre, des études récentes chez l’homme suggèrent qu’écouter de la musique classique ou une musique qui nous est connue pourrait augmenter le volume de matière grise et blanche des aires corticales et sous-corticales impliquées dans les processus cognitifs, améliorer la connectivité fonctionnelle de ces régions et moduler l’activité des structures cérébrales impliquées dans les émotions, la récompense, la mémoire de travail et l’attention.

REFERENCES :

  1. Innes KE, Selfe TK, Khalsa DS, Kandati S. Meditation and music improve memory and cognitive function in adults with subjective cognitive decline: a pilot randomized controlled trial. Journal of Alzheimer’s Disease. 2017;56:899-916.
  2. Innes KE, Selfe TK, Khalsa DS, Kandati S. Effects of Meditation versus Music Listening on Perceived Stress, Mood, Sleep, and Quality of Life in Adults with Early Memory Loss: A Pilot Randomized Controlled Trial. Journal of Alzheimer’s Disease 2016; 52 no. 4, pp. 1277-1298.

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