Musicothérapie et Alzheimer

Olivier Bonnot, Professeur de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent

La musicothérapie est une méthode thérapeutique utilisée depuis plusieurs décennies en psychiatrie et en neurologie dans la prise en charge des maladies mentales. Initialement largement liée aux théories psychanalytiques, dominantes dans les années 60-70, elle est aujourd’hui inscrite dans des modèles de compréhension plus intégratifs. Son objectif est thérapeutique, c’est à dire qu’elle vise à diminuer les symptômes psychiatriques des patients qui sont pris en charge.


Selon la Fédération Française de Musicothérapie : « La musicothérapie est une pratique de soin d’aide, de soutien ou de rééducation qui consiste à prendre en charge des personnes présentant des difficultés de communication et/ou de relation ». Il existe différentes techniques de musicothérapie, adaptées aux populations concernées : troubles psychoaffectifs, difficultés sociales ou comportementales, troubles sensoriels, physiques ou neurologiques. La musicothérapie s’appuie sur les liens étroits entre les éléments constitutifs de la musique et l’histoire du sujet. Elle utilise la médiation sonore et/ou musicale afin d’ouvrir ou restaurer la communication et l’expression au sein de la relation dans le registre verbal et/ou non verbal. En musicothérapie il ne se pose pas tant la question de savoir « ce que la musique fait au patient », mais plutôt « ce que le patient fait de la musique qui lui est donné à entendre, ou à produire ». Il s’agit donc de proposer à un patient, ou un groupe de patients, dans un cadre thérapeutique des expériences musicales, au travers desquelles, et avec l’aide du thérapeute, il pourra élaborer, à son rythme, une manière de transformer son rapport à lui-même, aux autres et au monde.


Comme beaucoup de techniques psychothérapeutiques, la musicothérapie n’a bénéficié que de très peu d’évaluation de son efficacité. Si cela s’explique pour partie les difficultés méthodologiques, celles ci ne sont pas insurmontables et l’évaluation des pratiques est devenue indispensable tant pour les patients eux-mêmes que pour les professionnels, singulièrement à l’époque actuelle.


L’étude de la littérature scientifique offre une situation contrastée, il existe une quantité relativement importante, et ancienne, d’article en sciences humaines et psychanalyse, décrivant souvent un cas et, d’un autre coté une littérature scientifique plus récente évaluant selon les critères méthodologiques classiques l’efficacité de ces techniques. Dans la plupart des cas, les études sont ouvertes, c’est à dire n’incluant pas de groupe témoin. De plus, l’objectif des travaux et de montrer l’apport sur le bien-être et sur les aspects émotionnels de la maladie. Cependant, ces travaux se basent sur des découvertes faites dans le cadre de recherche en imagerie cérébrales qui montrent l’impact positif de la musique elle-même sur le cerveau du patient (Hsieh, Hornberger et al. 2012). La mémorisation de la musique semble préservée longtemps chez les patients, autant la capacité de mémoriser une mélodie que celle de se souvenir d’anciennes chanson (Vanstone, Cuddy et al. 2009, Basaglia-Pappas, Laterza et al. 2013). Mais surtout, l’écoute musicale, souvent intégré a la musicothérapie dans les articles, a montré une réelle efficacité sur la préservation (parfois seulement la diminution de la dégradation) de la mémoire chez les patients (Simmons-Stern, Budson et al. 2010, Boulay, Benveniste et al. 2011, Simmons-Stern, Deason et al. 2012).


Une récente revue de la littérature conclue que les travaux actuelles en clinique et en neuropsychologie montrent une efficacité notable, bien qu’insuffisamment prouvée, de la musicothérapie dans cette pathologie, principalement pour réduire l’anxiété, les périodes de dépression (durée et sévérité) ou les comportement agressifs (Guetin, Charras et al. 2013). Les capacités de communications sont également améliorées. Les aspects émotionnels jouent un rôle important, et cela est bien connu des musicothérapeutes comme des spécialistes en psychopathologie. Les études plus structurées sur le plan méthodologique comparent la musicothérapie à la lecture (Guetin, Portet et al. 2009, Cooke, Moyle et al. 2010) ou à aucune activité thérapeutique (Svansdottir and Snaedal 2006).

Au total, il nous apparaît qu’il existe un manque d’étude qui répondent aux critères de la recherche internationale (pour une discussion sur ce point voir (Samson, Clement et al. 2015)), on constate que

  • Les effectifs sont faibles
  • La durée est beaucoup trop courte pour une telle prise en charge
  • L’évaluation n’est pas standardisée
  • Le design expérimental est toujours de comparer musicothérapie à un placébo qui est souvent aucune intervention mais on devrait utiliser une écoute musicale ce qui est interessant parce que on sait que la musique en elle-même à une action thérapeutique.
  • L’évaluation n’est pas faite en aveugle.
  • Ces études dans leur ensemble ne concluent pas qu’a un effet modéré sur l’anxiété, la dépression, les comportements sociaux et l’agressivité mais avec des mesures discutables et sur une durée très courte.

En nous inspirant de ces travaux mais en proposant une méthodologie qui répondent a leurs faiblesses, nous nous proposons donc d’évaluer l’efficacité de la musicothérapie chez les patients atteins de maladie d’Alzheimer.


Sur le plan pratique, la musicothérapie se pratique par séances d’une heure environ et généralement en groupe de 3 à 4 patients. Ceux ci sont accompagnés des 2 musicothérapeutes ayant bénéficié d’une formation spécifique universitaire[1], associés le plus souvent à un membre de l’équipe, généralement éducateur ou infirmier, qui connaît les patients. Les séances sont hebdomadaires et sur une durée de 9 mois (une année scolaire). La structure de la séance réponds à un protocole particulier. Les techniques sont variées mais nous n’utiliserons pour notre travail qu’une seule technique et un protocole précis afin de permettre les comparaisons. Lors de la séances l’écoute de musique, et la production de musique (chant par les participants) se fait en interaction avec le musicothérapeute cette interaction est thérapeutique c’est ce qui explique que la musicothérapie est une psychothérapie. Il est important de distinguer la musicothérapie de l’écoute musicale qui n’implique pas de processus d’interaction avec un thérapeute et donc pas de psychothérapie.


Notre étude va donc comparer l’efficacité de ces deux techniques de prise en charge.


Sujets :

Patients présentant une maladie d’Alzheimer selon les critères du DSM V. Nous envisageons l’inclusion de 50 patients qui seront recrutés dans différentes institutions de la région nantaise et vendéenne.

  • Seront inclus tous les patients Alzheimer âgés de 75 ans et plus ne présentant pas les facteurs d’exclusion ci-dessous. Ayant un score au Mini Mental State de 10 à 23 sur 30.
  • Seront exclus, les patients présentant un trouble sensoriel de type surdité, les patients ayant un traitement qui aurait été modifié depuis moins de trois mois et les patients présentant des troubles du comportement incompatible avec la prise en charge en musicothérapie
    • Des troubles ménsiques en rapport avec
      • d’autres affections du système nerveux central qui peuvent entraîner des déficits progressifs de la mémoire et du fonctionnement cognitif (p. ex., maladie cérébro-vasculaire, maladie de Parkinson, maladie de Huntington, hématome sous-dural, hydrocéphalie à pression normale, tumeur cérébrale).
      • à des affections générales pouvant entraîner une démence (p.ex., hypothyroïdie, carence en vitamine B12 ou en folates, pellagre, hypercalcémie, neurosyphillis, infection par le VIH).
      • à des affections induites par une substance.
  • D’autres pathologies neurologiques, d’organes ou vasculaires ne sont pas un critère d’exclusion si elle n’empêche pas la participation effective au groupe.

Nous ferons signer un consentement de participation aux parents ou tuteurs légaux si nécessaire.


Design expérimental

Une fois sélectionnée, et l’accord obtenu, les patients seront randomisés (randoweb[2] ou équivalent), et répartis en deux groupes.

  1. Un groupe bénéficiant d’une prise en charge en musicothérapie selon un protocole identique (durée, musique, programme) pour chacun des sous groupe de 4 à 5 patients. Rythme d’une séance par semaine pendant 10 semaines.
  2. Un groupe bénéficiant d’’une séance d’écoute musicale de même durée que la séance de musicothérapie et avec une musique identique (même si la séquence musicale peut être différent puisque la séance de musicothérapie inclus des interruption et des chants). Rythme d’une séance par semaine pendant 10 semaines, hors pour chacun des sous groupe de 4 à 5 patients.

Nous proposerons une évaluation clinique à l’aveugle de la sévérité des signes cliniques aux patients avant l’entrée dans le groupe puis un mois après la fin de la prise en charge. Cette évaluation inclura :

  • une échelle globale de fonctionnement (CGI),
  • deux échelles de dépression et d’anxiété (Hamilton Dépression et Hamilton Anxiété),
  • Le Mini Mental State
  • ADAS-cog (Rosen, Mohs et al. 1984) qui comprend 11 épreuves permettant d’évaluer différentes fonctions cognitives telles que la mémoire, le langage, les praxies. Cette échelle est indiquée à chaque fois qu’il est nécessaire d’évaluer la progression ou la détérioration des capacités cognitives.
  • Une échelle mesurant l’évolution des troubles psycho-comportementaux à l’aide de l’inventaire neuropsychiatrique (NPI-ES).

L’hypothèse principale est que la musicothérapie est plus efficace que l’écoute médicale sur les symptômes cognitifs de la maladie d’Alzheimer. Le critère principal d’évaluation sera le MMS et les autres échelles seront les critères secondaires.


Résultats attendus et implications

Nous souhaitons montrer que la prise en charge en musicothérapie est plus efficace que l’écoute musicale « simple » chez les patients présentant une maladie d’Alzheimer sur leurs signes cliniques. L’intérêt est d’apporter des arguments pour ce type de prise en charge et de valoriser le travail psychothérapeutique qui se passe dans l’interaction avec les patients dans le cadre de la séance de soin lorsque celui ci est effectué selon des techniques enseignées, validées et par un musicothérapeute.


Cette étude sera une des rares études mondiales de ce type ce qui pourrait permettre une diffusion dans la littérature scientifiques française et internationale mais aussi auprès du grand publique.


Faisabilité et éléments de contexte


Nous disposons à Nantes d’un Diplôme Universitaire de Musicothérapie qui est le seul en France sous cette forme, l’équipe d’enseignants, eux mêmes impliqués dans la recherche à l’Institut de Musicothérapie que dirige Francçois Xavier Vrait, partie prenante de ce projet. Il est également de la Société Française de Musicothérapie. Les participants à ce projet travaillent au CHU de Nantes qui est leur employeur principal, leur implication dans cette recherche se fait donc dans le cadre de leur travail et de ma mission des CHU de participer à des recherches. Ces coordonnateurs de l’étude sont, en plus de Mr Vrait, Mathilde Chagneau et Thomas Rabeyron, tous les deux psychologues. Mr Rabeyron est par ailleurs Maitre de Conférence à l’Université de Nantes. Le Pr Olivier Bonnot, professeur a l’université de Nantes et chef de service au ChU de Nantes coordonne ce travail sur son temps de recherche universitaire statutaire.


[1] Il existe un Diplôme Universitaire à l’Université de Nantes, dirigé par le Pr Olivier Bonnot et un Master à Paris-Descartes, dirigée par le Pr Edith Lecour. Les musicothérapeutes regroupés au sein de la Fédération Française de Musicothérapie ont signés un Code de Déontologie, précisant le cadre professionnel, éthique et déontologique de leur exercice.


[2] Site WEB géré par la Direction de la Recherche Clinique permettant la répartition aléatoire de patients en deux groupes de façon a éviter la sélection subjective des intervenants (par exemple proposer aux patients les plus sévères un groupe plutôt qu’un autre).